Aujourd’hui après de longs mois de silence, je reprends mon téléphone et son application notes.
Écrire contre l’angoisse, comme pour l’affronter. On dit qu’il faut nommer l’ennemi. Premiere étape aussi difficile que nécessaire vers l’acceptation.
Et si c’était un peu plus complexe que ça ?
Je veux bien nommer. Définir même.
Mais, cela impliquerait de comprendre ce qui m’angoisse. De connaître la source exacte et les formes qu’elle prend.
Donc oui, la pandémie m’angoisse.
J’insiste sur le terme pandémie et non sur le nom de cette maladie.
La Covid a quelque chose de particulier, fait référence au malade. Et j’admets que du haut de mes 30 ans et de mes privilèges, je n’ai pas peur de tomber malade.
Non, c’est la pandémie qui m’angoisse. Son coté mondial, politique et oppressant.
C’est la sensation du masque sur ma peau qui me fait l’effet d’un vieux pull en laine qui gratte. Je ne le supporte plus ce masque car depuis avril je le porte en moyenne 10h par jour.
C’est les métros bondés et les deux personnes quotidiennes qui se croient au-dessus des gens pour ne pas recouvrir leur bouche et leur nez.
C’est la méfiance, les regards en coin, l’envie de changer de trottoir quand il y a trop de monde sur celui-ci.
C’est les sourires qu’on ne voient plus.
C’est la peau de mes mains sèches et leur paume moite.
C’est pratiquer mon métier derrière un masque et derrière un plexiglass. Devoir demander de répéter à coup de « pardon » ou « I’m sorry can you speak a little louder please ? » quand la personne en face de toi t’explique qu’elle a fuit son pays pour que sa fille ne soit pas excisée, qu’elle a fuit les menaces de mort de l’armée officielle après qu’elle ait assassinée son mari, qu’elle souhaitait vivre sa sexualité librement, qu’elle a fuit la faim afin d’échapper à sa propre fin.
C’est devoir parler trop fort dans un open space, ne plus pouvoir respecter l’intimité et le principe de discrétion lors d’entretiens sociaux.
C’est ne pas pouvoir saisir la main ou l’épaule de cet homme a qui je dis qu’il a reçu un ordre de quitter le territoire.
C’est ne pas pouvoir m’appuyer sur mon collègue quand le poids de la journée devient trop lourd à porter.
C’est avoir l’impression de ne pas toujours bien faire mon métier.
C’est le directeur qui refuse de mettre en place le télétravail car « c’est impossible dans notre secteur » alors qu’il vient au travail dans une voiture de fonction, seul. Et qu’il ne réalise pas que le télétravail n’est pas un échappatoire pour ne plus travailler mais un moyen pour ne pas angoisser tous les matins à l’idée de prendre les transports en commun. C’est un moyen pour pouvoir rattraper le travail administratif en retard et ne plus commencer sa journée en sachant pertinemment qu’on ne cochera pas l’entièreté de sa to do list. Car on en vient jamais à bout et qu’elle ne cesse de s’alimenter. Que l’humain ne s’arrête pas ou plutôt l’inhumanité de nos institutions ne se met pas en pause afin qu’on puisse rattraper le travail en retard. Que les mesures sanitaires n’enlèvent pas de travail, au contraire. On doit être l’intermédiaire des médias. Tenter d’expliquer les règles dans une langue qu’une personne étrangère peut comprendre. C’est appliquer des sanctions en cas de non respect. Nous devons être garant de règles que nous ne supportons plus nous meme. Il faut qu’on s’érige en agent de contrôle des qu’un résident se permet de retirer son masque un court instant. On se doit de rassurer, ne pas céder à la panique. Même si nos amis sont malades, même si on se sent un peu plus seul tous les jours. On ne peut se permettre de partager leurs angoisses. Du moins, il faut les convaincre que tout va bien. Et que surtout nous contrôlons la situation.
Et comme si la crise sanitaire ne se suffisait pas à elle seule, je suis fatiguée.
Car si une pandémie est une maladie contagieuse qui touche la planète entière, je suis fatiguée des pandémies qui tentent à persister malgré les manifestations, les élections. Malgré les cris du peuple, malgré les pédagogies.
Je suis fatiguée du système dans lequel on vit.
De ces médias qui préfèrent discuter du port du voile avec Éric Zemmour ou n’importe quel homme blanc de plus de 50 ans et de droite, qu’avec les concernées.
De ces médias qui s’obstinent à compter le nombre de musulmans qui s’offusquent du meurtre de Samuel Paty sans la moindre honte.
Je suis fatiguée d’entendre l’avis des hommes sur ce qu’une femme peut ou doit être. Je n’en peux plus d’entendre les hommes blâmer la longueur de ma jupe ou même écrire une chronique afin de m’autoriser à m’habiller comme je veux.
Je suis fatiguée des phrases qui commencent par « not all » comme si on ne le savait pas déjà que pas tous les blancs, pas tous les hommes. En quoi ça fait avancer le débat ?
Et cette fatigue…
C’est savoir qu’un Darmanin ou un Dupont-Moretti a sa place dans un gouvernement qui a fait de l’égalité homme-femme la cause du quinquennat.
C’est la culture du viol qui permet à un président de comparer la France à une bonne fille qui ne se laissera pas violer.
C’est le 17ème féminicide en Belgique en 2020.
C’est Pascal Bruckner qui dit à la télévision que c’est le privilège d’être une femme noire et musulmane qui a permis à Rokhaya Diallo d’user de sa liberté d’expression.
C’est le projet de loi de dépénalisation de l’IVG en Belgique qui est encore reporté alors qu’en Pologne cet acte est tout simplement jugé inconstitutionnel.
C’est la colère, tous les jours.
C’est le harcèlement que subi Alice Coffin pour avoir écrit ne pas aimer les hommes et celui que subi Angèle pour être la sœur d’un agresseur sexuel.
C’est la fatigue de lire chaque jour une information sur un crime sexiste, raciste, homophobe, transphobe.
C’est la fatigue à force d’être en colère et de ne plus accepter le monde tel que ceux qui détiennent le pouvoir persistent à vouloir qu’il soit.
J’angoisse d’allumer la radio le matin.
D’ouvrir Instagram ou Facebook.
J’angoisse d’avoir une migraine.
J’angoisse de pratiquer un métier de première nécessité et de ne pas pouvoir profiter de la sécurité de mon appartement une journée.
J’angoisse de ne plus avoir l’énergie de me faire à manger quand je rentre à 20h.
J’angoisse de lire que les ateliers d’impro sont suspendu jusqu’au minimum 19 novembre alors que j’angoissais d’y aller.
J’angoisse de ne pouvoir trouver le calme.
Et ce malgré Virginie Despentes qui prend la parole lors d’un séminaire et qui m’émeut tellement les mots sont justes et honnêtes.
Malgré l’énergie que me donne Lauren Bastide en écrivant « le backlash, c’est nous ».
Malgré les chroniques de Marina Rollman sur France Inter ou la perspective d’aller voir son spectacle en mai 2021.
Malgré « Je marche » de Ben Mazué qui annonce la sortie imminente de son prochain album.
Malgré le plaisir d’être allé une dernière fois au théâtre voir la pièce « Quarantaine » de Vincent Lecuyer qui rend à ton corps ce sentiment de vie, ses émotions et qui te fait rire tant l’honnêteté du texte y est crue et sans artifice.
Malgré la série « Normal People » adaptée du roman éponyme de Sally Rooney.
Et même, malgré le chocolat.
Alors pandémie. Oui, tu me fais peur.